Chant de blizzard

Un crépuscule de juillet. Sur le théâtre en plein air, c’est un ciel absent. Un ciel dont la tiédeur m’a quitté. Au premier rang des gradins, il fait même froid sur mon siège. Je grelotte, bien que mes voisins semblent à leur aise. J’ai l’impression qu’il neige sur le parterre. Il faut dire que depuis plus d’une heure, c’est la tourmente sur scène — la tourmente de ces ballets auxquels j’assiste. Dès la première note, première giboulée de l’orchestre, en moi l’hiver s’est levé. De tels ballets. Je n’ai jamais rien vu de pareil. Ils viennent de loin, de l’île de Bali, en Asie. Mais ils semblent nés d’encore plus avant, d’une région étrange, comme l’est leur gestuelle. Affolant le parquet, c’est une pluie de grêle, la pluie des pas des danseurs. Les membres désarticulés jusqu’aux doigts, jusqu’aux paumes, ils dansent à en briser leur allure. Je ne sais ce qu’ils traduisent ainsi, pas plus que je ne comprendrais la valse de ronces, l’hystérie de broussailles. Sinon qu’ils témoignent d’une sorte de démence, d’un genre de folie, celle de corps s’extirpant de leur propre ossature. (...)


Stéphane Juranics,
mai 1993.

Extrait du texte « Chant de blizzard » figurant dans le n°53 de la revue Arpa
paru en janvier 1994.